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de clôture crénelé par les Allemands. Ce mur, il eût été si simple de le raser avec quelques coups de canon. Mais la batterie du chemin creux, probablement, ne devait pas s’engager sans ordres supérieurs. Il avait donc fallu marcher bêtement, à poitrine découverte, contre un mur crénelé. Comme le cœur lui battait ! Sa première affaire ! Le moment attendu avec impatience depuis quatre mortels mois passés dans les camps d’instruction, mal équipé, mal nourri, mal commandé, fatigué par des exercices insipides. Il ne faisait pas bien jour. Pas un coup de fusil encore ! Pas une sentinelle ennemie ! Qui sait ? on allait peut-être surprendre une fois ceux qui nous avaient si souvent surpris nous-mêmes. Ne disait-on pas merveilles du jeune général en chef ? Cette aurore glacée ne serait-elle point par hasard l’aurore d’une grande victoire. Lui, n’aurait pas peur, ferait son devoir comme les autres. S’il allait avoir peur, pourtant ? Ce doute importun, humiliant, le secouait dans sa marche d’un tremblement nerveux. Aussi, maintenant, c’était de l’impatience, un furieux désir qu’elle ne se fît pas attendre plus longtemps cette première décharge qui le fixerait sur sa bravoure, qui le ferait tomber évanoui de lâcheté nerveuse, ou qui le transporterait de la surexcitation des héros. Voilà qu’ils étaient arrivés à quarante pas du mur crénelé. Qu’attendaient-ils pour tirer, les enfants de ce peuple flegmatique et lent ? Il se sentait presque tenté de leur crier : « Faites donc feu, sacrés imbéciles ! » Pour un rien, il aurait déchargé lui-même son chassepot en l’air afin de leur donner l’éveil. Puis, tout à coup, un énervant vacarme l’avait assourdi ; et, lui-même, au hasard, il avait fait feu dans la fumée ;