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et au risque d’accidents, on cribla les plafonds de balles. Du plâtre tombait, chacun baissait la tête, essayait de se garer, lâchait des rires, tandis qu’une épaisse fumée tourbillonnait.

La chambre des fusillées s’était emplie ; néanmoins on pouvait s’y retourner. Des vapeurs de poudre planaient au-dessus des képis. Un cercle entourait les martyres, les couvait d’un œil excité, jouant à se pousser sur elles, comme des galopins autour d’une flaque de boue.

On ne sait quel étrange et joyeux vacarme s’échappait de la cour. Des soldats ouvrirent plusieurs fenêtres, émus par une curiosité jalouse. Ils furent stupéfaits. Une centaine de camarades étaient là, en train de s’achever, soûls comme des grives, heureux, incapables de gestes, chahutant du képi dans un frémissement clair de baïonnettes. Un vague remous s’était établi au milieu duquel des bouteilles erraient de main en main, s’arrêtaient à des bouches. Le soupirail de la cave, tout noir, lançait mille refrains de caserne. L’énorme coulée du ciel s’était transformée en une nappe vaporeuse d’un rouge que des chauve-souris traversaient de leur vol effarouché. Des coups de feu éclataient encore sur la place par bordées sonores, faisant rêver aux dernières périodes des feux d’artifices, à l’heure où les pétards s’enflamment parmi les nuages de Bengale, devant la balourdise des foules. Quelque chose comme une respiration, au loin, derrière le grouillement d’hommes et de fusils, animait les maisons. Par les rues, des troupeaux d’habitants arrivaient sans cesse, piétinaient, se renseignaient auprès des soldats. La fusillade ne concernant en rien une tentative des