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des jupes et des chemises retroussées permirent d’apercevoir les roseurs mortes de ces pauvres corps à trente sous.

On avait obéi à la passion cruelle du moment, à cette envie qui force les gens armés à vouloir se servir de leurs armes.

Cependant, toutes les femmes n’avaient pas été tuées ; il en restait une, si vieille et l’air si respectable, qu’elle aurait pu être la mère du plus âgé des hommes survenus là, dans cette chambre. Elle était tombée à genoux, avait croisé ses mains dans une attitude suppliante, semblait s’être choisi une place, derrière l’hécatombe, afin d’être épargnée ; et elle sanglotait, la poitrine soulevée par un gloussement ridicule. D’un coup de baïonnette, le grand troupier la culbuta sur les reins. Trois fois elle se releva, aussitôt rejetée. Son sang lui coulait du ventre jusqu’aux chevilles, mais elle s’acharnait à vivre ; et pour la quatrième fois, elle venait de se relever devant le placard béant, lorsqu’un nouvel assaut l’y précipita, l’obligeant à crever pliée en deux, les jambes en l’air, dans une posture obscène.

Le massacre accompli, on resta tout bête. Quelques hommes se contentèrent de jeter un lent regard sur le grenier désert. Décidément, le chef de la maison avait disparu.

Une griserie lourde achevait de gagner ce monde suffisamment chauffé pour toutes les besognes, pour tous les tumultes. Les fusils tremblaient dans les mains.

Lasse d’inaction, la foule du couloir résolut de s’amuser un peu. On se dégagea le mieux possible,