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les pavés. Surpris par une acclamation rude, les fantassins ne tardèrent pas à se retourner ; le renfort débouchait sur la place. Une salve de mousquetons ébranla l’air, continuée par le ronflement des chassepots ; mais celle-ci fut tirée pour le plaisir, histoire de se serrer la main entre uniformes, de se réconcilier militairement. Monté à poil, un gros cheval blanc trottait devant l’artillerie. Le clairon sonna de nouveau la charge ; on l’entendit à peine.

Un peu partout, à cette heure, des fenêtres se décidaient à s’ouvrir, des gens montraient le bout de leur nez, mais ils le retiraient vivement, parce que des soldats s’offraient la plaisanterie de les coucher en joue. Petit à petit un sentiment de gaieté sinistre se mêlait aux fureurs de la foule ennuyée de rester là sans agir, et de longs éclats de rire s’échangeaient, des noms se criaient à tue-tête pendant qu’on fraternisait. Le besoin de boire quelque chose commençait à turlupiner tout le monde, et on se le disait, le gosier sec. À un coin de la place, trois officiers très embêtés se consultaient loin de leurs hommes.

Cependant, au premier étage du grand 7, on se donnait un mal énorme. D’ailleurs, la maison était drôlement bâtie : un interminable couloir flanqué de chambres à droite et à gauche, de maigres chambres où, sur des couchettes en sapin passé à l’acajou, depuis une dizaine d’années, plus d’un régiment avait déversé le trop-plein de ses amours et de ses soulographies. À présent, les soldats démolissaient tout. Le flot d’hommes avait envahi toutes les chambres, grouillait, à peine éclairé par quelques bougies trouvées dans un tiroir. Il arrachait les rideaux, broyait les meubles, déchirait les pauvres nippes suspendues aux