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remparts, on n’apercevait aucun passant attardé. Une impasse s’enfonçait dans la ville, pareille à une trouée exécutée au fer rouge. Mais le bourdonnement de ruche en émoi continuait à s’exhaler de la caserne, et sous la splendeur du phénomène, il parlait comme un encouragement.

La poignée d’hommes avançait toujours ; on s’arrêta pour charger les fusils, puis rapidement cette fois, on se dirigea vers un des angles de la place, du côté où, à la suite d’une rangée de baraques mal crépies, plus loin qu’un petit pont jeté sur la saleté d’un ruisseau, on apercevait une maison de forme sage, debout, avec un aspect tranquille d’honorabilité. Et il s’en échappait des bruits pareils à un clapotement d’eau sur de la boue. Quand on ne fut plus qu’à une trentaine de pas de la maison, le clapotement s’expliqua. Il provenait d’un misérable piano échoué par hasard dans une chambre où languissait à cette heure une lumière brouillée. On tapait sur l’instrument une valse à tour de bras, mais lui, édenté, poussif, accablé par les nuits sans repos, par la stupidité des attouchements poisseux, chevrotait en vieille catin. Cependant, à travers la rougeur douce des rideaux tirés, on voyait tournoyer des ombres. Certes, dans cette chambre chaude, pleine de rires enroués, on devait ignorer le meurtre commis sur Joliot.

Ce fut Verdier qui tira la chaîne de la sonnette. Celle-ci chanta joyeusement. Un guichet s’ouvrit et une voix demanda :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Entrer, Joséphin.

— Ah ! c’est vous, monsieur Verdier ?… Impossible ! il est trop tard.