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détails qu’elle a ramassés à Versailles sur le palier, dans les conversations avec le garçon d’hôtel, Mme Worimann, la laitière, le charbonnier. À l’entendre, les Prussiens manquent de tout, de vivres, de munitions, même de patience. L’investissement les gêne autant que les Parisiens, même plus. Un jour de combat et ils n’auront plus de cartouches. Un semblant d’échec, seulement, et ils se révolteront contre leurs chefs, demanderont à retourner dans leur pays. C’est la sotte opinion qu’elle a entendu formuler très souvent, et elle la réédite avec une telle sincérité que la solidité de sa bêtise jette des doutes dans l’esprit du général. Peut-être dit-elle vrai ? et sans oser la contredire, désespérant en outre d’obtenir d’elle des renseignements définitifs, il répète câlinement :

— Huberte, Huberte !

Mais elle l’imite, fait la charge de sa parole et la parodie de sa tendresse :

— Huberte, Huberte ! Il n’y a pas d’Huberte qui tienne. Et tu te laisses bombarder, là, tu cuis dans ton jus, nom d’un chien ! sans te retourner !

Et elle évoque devant lui la misère des quartiers qu’elle a traversés tout à l’heure, Auteuil saccagé, les pans de murailles écroulés montrant les intérieurs des maisons effondrées, et poussant plus loin avec d’outrageantes apostrophes, elle multiplie les faits : le moindre détail remarqué sur la route, grossi par sa torrentueuse faconde, devient une accusation terrible sous laquelle il baisse la tête.

Pourtant il essaye de se défendre, invoque les difficultés de sa situation, sa responsabilité devant l’histoire.

— L’histoire ! dit-elle, si tu continues comme tu as