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gées dans la destruction et inventives dans la mort, suspendent leurs colères et font faire silence à leur haine, Mme de Pahauën, debout, dans un bateau, avec une apothéotique allure, traverse la Seine ensanglantée. Elle sourit aux rameurs pliés sur les avirons. Des officiers, sur la rive devenue allemande, lui font avec la main des signes d’adieu amicaux ; des officiers sur la rive française l’appellent avec des gestes d’intime familiarité, et dans l’immense désastre des rives ruinées, elle passe, affirmant ainsi au milieu des tueries la toute-puissance invincible de sa chair, le triomphe insolent de son sexe.

Longtemps le général, avec sa lorgnette, a suivi dans le lointain quelque chose de noir qui marche et qui doit être l’embarcation ramenant à ses désirs la Pahauën et sa luxure. Un instant, il ne voit plus rien, puis la même tache noire réapparaît, gagnant lentement la rive opposée. Elle y touche, maintenant elle se confond avec la ligne sombre de la rive, et soudain des drapeaux blancs qui flottaient des deux côtés, de place en place, sont abattus, des sonneries de clairons éclatent si furieuses que le bruit en arrive jusqu’à ses oreilles.

— Commencez le feu ! commencez le feu ! chantent de toutes parts les embouchures de cuivre, et de nouveau des cercles concentriques de fumées s’élèvent, devant, derrière partout, masquant les collines. Le clocher de Saint-Cloud s’enfonce à nouveau dans une nuée d’ouragan, et la canonnade recommençante roule avec un retentissement si épouvantable, qu’elle donne la sensation d’un tremblement de terre.

L’armistice est fini, Mme de Pahauën est à Paris. Derrière elle, le sang coule à nouveau, les maisons