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la brusquerie rancunière avec laquelle il l’a poussée à l’exil, sans réflexion ! À cette heure désespérée où ses dernières ambitions de gloire agonisent, où tout ce qu’il avait souhaité se dérobe à l’étreinte de sa main rêveuse, où dans l’écrasement de la patrie il ne considère plus que la misérable déconfiture de sa vanité, au moins si Mme de Pahauën était là, sa présence lui tiendrait lieu de consolation. Avec elle dans les bras, il oublierait la pauvreté de ses entreprises, l’éternelle médiocrité du nom qu’il va laisser à l’histoire. Eh ! qu’importe, que tout échappe et que tout croule, si au milieu de l’effondrement universel et du deuil de tout un peuple, fuyant dans les débauches et l’enivrement sensuel le mépris qui s’accroît et la honte qui vient, il pouvait s’abîmer dans la jouissance d’un désir charnel réalisé, et si cette nudité de Mme de Pahauën il lui était permis aujourd’hui de la voir et d’y toucher encore !

En chemise, la chair à la fois disparue et montrée sous les découpures fines des dentelles, dans les déshabillés sans cesse provocants des anciennes nuits galantes, la désirée image de sa maîtresse le poursuit. Elle est auprès de lui, quand il pose le pied à terre, remettant à un dragon la bride de son cheval ; elle monte avec lui, pas à pas dans l’obscurité de l’escalier pratiqué dans l’Arc de Triomphe, avec lui, elle est sur le sommet, auprès du poste télégraphique, dont la sonnette d’appel, à tout instant, retentit. Et Paris tout entier, sous leurs pieds se déploie emprisonné dans un incessant cercle de fumée. Les canons des forts tonnent sans discontinuer, et là bas, plus loin encore que la ceinture des bastions, plus loin que l’enceinte reculée des ouvrages avancés, sur les collines, les