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également, que des souterrains passant sous la Seine, passant aussi sous les collines conduisaient d’Auteuil à la place d’Armes. Il n’y avait pas à en douter, la sortie devait s’exécuter de ce côté-là. Les Français marcheraient à couvert, et l’on rirait bien, tout à l’heure, quand tambours battants et clairons sonnants, ils déboucheraient au milieu de Versailles délivré, en plein.

Elle disait ces niaiseries sérieusement ; elle-même y croyait éperdument. Elle prétendait même entendre sous la terre des pas sourds, cadencés comme ceux des bataillons en marche. Et les plus sceptiques écoutaient, ébranlés par l’autorité de sa confiance. Oui, il leur semblait qu’on percevait quelque chose d’inusité. Souvent ce n’était que le tapage d’un cheval à l’attache dont les fers grattaient le pavé, dans une écurie voisine. Parfois c’était moins encore : le murmure du vent dans les arbres des avenues s’enfonçant dans la nuit. Le plus ordinairement ils n’entendaient rien, sinon ces imaginaires sonorités que les vives espérances font bourdonner dans les oreilles attentives.

Le matin se levait, mettait ses clartés malades le long des maisons anxieuses, et les Versaillais, les yeux tout brouillés d’une nuit d’insomnie, le corps courbaturé par l’espérance continue de cette délivrance qui n’arrivait pas, voyaient rentrer les troupes ennemies. Elles chantaient bien en rang, comme si elles fussent revenues d’une inspection ou d’une revue. L’attaque des assiégés était repoussée encore une fois, et Mme de Pahauën tout en larmes, pleurant sur elle-même, tout en ayant l’air de pleurer sur la France, écoutait par-dessus la cadence des bottes marchant ensemble, rhytmiquement, les canons essoufflés qui,