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Des généraux, des diplomates, dont les noms jetés par les valets à l’entrée des salons, sonnaient majestueux et célèbres par-dessus tous les autres, inspirant le respect aux gens même qui les prononçaient, s’empressaient autour d’elle, briguant la faveur d’un regard, heureux de pouvoir être admis à ramasser son éventail ; et ceux-là considéraient dans la suite avoir été l’objet d’une distinction suprême, qu’elle avait autorisés à faire, avec elle, un tour de valse, par hasard. On la consultait pour la conduite du cotillon, elle réglait les figures ; et quand l’envie lui en prenait, elle avait des inventions prodigieuses qui bouleversaient le bal et dont les retentissements étaient si lointains que des ministres même, dans la suite, en demeuraient ébranlés.

Elle s’apercevait encore rayonnant dans les feux d’artifice, chantée dans tous les Te Deum, et autour d’elle, comme autour de l’incarnation féerique de la corruption et du détraquement d’une époque, les chants des prêtres montaient, mêlant leurs hosannas aux flammes de Bengale. Puis, quand l’Empire croulait, par la toute-puissance de son sexe et l’omnipotence de sa dépravation, elle dominait encore !

Trois mois durant, elle avait été maîtresse de Paris, et jamais d’un bout à l’autre de la ville enserrée dans ses bastions, il n’y avait eu une volonté contre sa volonté. Elle avait commandé aux généraux, fait ployer les disciplines, et que de fois des ordres avaient été donnés qui obéissaient à ses caprices. C’était sa fantaisie qui tout à l’heure avait fait livrer des batailles ; quand il lui avait plu, elle avait fait de la gaieté ; quand il lui avait plu aussi, elle avait fait de la mort. Et maintenant voilà qu’on osait lui offrir le lit d’un Prus-