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rapporte et qu’on tâche de retenir avec des bonnes grâces. Intimement, Mme  Worimann souhaitait la perpétuité de l’invasion. Douce avec tout le monde, affable par nécessité, répandue en bonnes paroles, elle n’avait de dureté que pour ce Paris lointain dont les incessantes canonnades lui faisaient craindre une sortie victorieuse. Alors, c’étaient les Prussiens chassés, Versailles redevenant français, son commerce tué pour toujours. Aussi, elle affectait de ne pas croire à l’efficacité de la résistance, et tremblant pour son intérêt, elle donnait le change en accusant journellement le gouvernement de faire massacrer les gens sans raison.

— À quoi tout cela servait-il ? je vous demande un peu ?

Sur le pas de sa porte, quand des blessés faits prisonniers passaient saignants, mutilés, criant dans les cahots des voitures d’ambulance, Mme  Worimann exhalait des pitiés si bruyantes, plaignait tellement les pauvres enfants « envoyés à la boucherie », ou « sacrifiés pour une cause perdue », que, dans le quartier, sa réputation en profitait. Assurément, comme femme, c’était une pas grand-chose, on en tombait d’accord, oui, mais aussi, elle avait un cœur d’or. Cela était également indiscutable. Puis elle rentrait, et ces mêmes tendresses, elle les prodiguait aux consommateurs bavarois, saxons ou poméraniens, commercialement.

Les mêmes circonstances qui avaient été favorables à Mme  Worimann, rendaient désastreuse la position de Mme  de Pahauën. Les femmes n’étaient pas rares sur la place, à Versailles, et la notoriété qu’elle pouvait apporter dans sa prostitution, la célébrité qu’elle avait à Paris, cessaient là, dans cette ville où les officiers ne