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la voiture armoriée d’où descendait autrefois l’élégante femme, au sourire de laquelle ils présentaient les armes, galamment, comme à une puissance. Seuls des caissons défilaient, le sinistre va-et-vient des ambulances. Ou bien encore c’étaient des canons, des convois cahotants, tirés avec lenteur par l’agonie trébuchante des rosses maigres, invraisemblablement.

Certains jours la tristesse désolée du chemin de ronde s’animait du brouhaha de nombreux bataillons en marche, du tumulte des sorties projetées. Les soldats passaient, bien alignés, suivis par des adieux. Il y avait dans l’air des claquements de baisers, des souhaits de victoire, et les régiments marchaient avec plus d’entrain, comme si un peu d’espérance leur revenait au cœur. Puis les mêmes efforts donnaient les mêmes résultats, toujours. Des coups de canon étaient entendus, longtemps, très loin. Des dépêches télégraphiques arrivaient, lentes, contradictoires ; l’angoisse à mesure envahissait Paris où l’ombre tombait comme une tenture de deuil. Puis, aux clartés vacillantes des lampes de pétrole installées pour remplacer le gaz, les troupes rentraient, débandées, avec une défaite de plus et des canons de moins, tandis que derrière elles, à cheval, un peu en avant de son état-major, le général, pensif sous les galons de son képi, passait, désirant follement le retour de Mme de Pahauën, comme si son écervelée maîtresse pouvait, dans les plis de sa robe et les fossettes de ses joues, lui rapporter son énergie d’homme, exilée avec la gaieté de la courtisane, comme si ses baisers avaient dû consolider ce pouvoir qu’il sentait vaciller à mesure sous les sanglantes ironies de Paris quotidiennement vaincu.