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mobile. Il citait les corps, les grades, d’une voix dépitée, avec emportement, car il mettait de la hiérarchie dans l’amour, et se croyait compromis non pas tant par ses infidélités que parce qu’elle les avait commises avec des inférieurs.

Très calme, Mme de Pahauën écoutait cet orageux défilé d’accusations, et doucement, comme par distraction, elle s’éventait le bas des jambes avec ses jupes qu’elle remuait. De temps en temps, une date lui arrachait un grand éclat de rire narquois. Elle avait imaginé de répondre : « Présent ! » à chaque nom qui passait, et à certains, son visage vicieux s’illuminait. Sans doute ils évoquaient des luxures compliquées, dont le souvenir même lui causait un ravissement.

Le général s’était arrêté, haletant, avec la sourde colère de l’homme dont la puissance est méconnue, la force inutile. Elle se moquait de lui, cette femme ! Ne pouvant se résigner à la battre, il était obligé de subir ses sarcasmes, lui, qui pour une simple désobéissance pouvait faire fusiller un homme et décimer un régiment ! Et afin de résister au besoin de brutalité qui le prenait, il crispait les poings pour ne pas la gifler grossièrement, sur les deux joues, comme on corrige l’impertinence d’une gamine mal élevée.

Maintenant, c’était elle qui parlait, c’était elle qui, dans une confession ironique, lui jetait des noms au hasard, pêle-mêle. Même, pour ajouter à son exaspération, elle exagérait, s’attribuait des amants qu’elle n’avait jamais eus, des tendresses auxquelles elle n’avait jamais pensé, et, prenant un temps, avec une négligence préméditée, elle affecta même d’avoir cédé à un membre du gouvernement. Clairement, elle le