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de brutalité, ont effleuré le bras qui porte le brassard de Genève, rouge sur un fond blanc, quand d’un brusque mouvement d’épaules elle lui échappe, et se retranchant derrière un fauteuil comme derrière une barricade :

— Messieurs, crie-t-elle, messieurs, je vous en prie, laissez-nous seuls ; vous ne voyez donc pas, il a envie de me faire une scène.

Et s’adressant au général :

— Allons, vas-y, mon ami, vas-y.

Les officiers consultent du regard leur chef qui tremble sous ses décorations, puis se lèvent, sortent silencieusement, et par la porte ouverte, dominant le cliquetis des éperons, le bondissement métallique des sabres sonnant sur les marches de l’escalier, la Marseillaise, chantée à plein gosier par les voix du dehors, dans une reprise formidable, emplit d’une bouffée de colère la salle déserte, où les jupons de la jeune femme bruissent, tout raides d’empois.

Elle s’est approchée du général, et les lèvres tendues, avec un mouvement du torse qui l’offre tout entière, elle essaye de l’embrasser. Il la repousse durement. Elle devient intolérable à la fin. Toujours elle se mêle de tout. Qu’est-ce qu’elle est venue faire au milieu du conseil ? Le compromettre, n’est-ce pas ? Exprès. Quel respect voulait-elle qu’il inspirât maintenant ? Ses officiers allaient rire de lui, il n’aurait plus d’influence sur ses subordonnés. Un jour ou l’autre, elle entendait, il faudrait bien que ces plaisanteries finissent, il y était décidé.

— Toi, fit-elle avec un mouvement de tête étonné et incrédule, toi, décidé ?

— Oui, elle tombait là, comme une bombe, au milieu