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corset, veinés de bleu sous la dentelle, et du creux de sa poitrine nue, de ses bras qui passent nus au bout des manches où la croix de Genève éclate encore rouge et blanche au milieu des ruchés, des effilés et des dentelles, un fumet de femme mûre se dégage et de chair amoureuse délicieusement faisandée.

— Eh bien, hein ? Quoi de neuf ? Toujours rien ?

Et apercevant la proclamation sur la table :

— Ah ! mais si, j’aurais dû m’en douter ! Des bavardages toujours ! Qu’est-ce que vous leur racontez encore aux Parisiens ? Vrai, il faut qu’ils aient bon caractère. Leur en faites-vous assez gober de ces blagues ! Voyons voir la nouvelle tartine ?

Penchée sur la table, le corps plié en deux, dans la féline attitude d’un sphinx, elle commence à lire. Au loin, le canon, par salves lentes, gronde à courts intervalles. L’émeute essoufflée, tait ses clameurs, étouffe ses chants, semble reprendre haleine. Mais aux incessants bruits de pas, aux commandements nombreux qui retentissent, au frissonnement humain qui s’agite sous les fenêtres dans l’humidité du brouillard, on devine que la foule augmente démesurément. De tous les coins de Paris en angoisse, de Montmartre impatient à Montrouge exaspéré, de Bercy qui gronde aux Ternes qui s’encolèrent, le populaire s’est mis en marche derrière le rappel des tambours, et recevant sans relâche des renforts, l’insurrection grandissante n’attend plus pour éclater que le commandement d’un chef, un mot d’ordre, ou simplement un hasard.

L’élégante femme lit toujours, puis soudain, lasse de tourner les feuillets qui s’accumulent :

— Et patati et patata. Et cætera pantoufle !

D’un geste de gaminerie elle jette tous les papiers,