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demande où nous allons. « À l’Intendance. » La porte s’ouvre, nous sommes dehors.

Arrivés sur la grande place de la ville, en face de l’église, j’avise, tandis que nous contemplions les sculptures du porche, un gros monsieur, une face de lune rouge hérissée de moustaches blanches, qui nous regardait avec étonnement. Nous le dévisageons à notre tour, effrontément, et nous poursuivons notre route. Francis mourait de soif, nous entrons dans un café, et, tout en dégustant ma demi-tasse, je jette les yeux sur le journal du pays, et j’y trouve un nom qui me fait rêver. Je ne connaissais pas, à vrai dire, la personne qui le portait, mais ce nom rappelait en moi des souvenirs effacés depuis longtemps. Je me rappelais que l’un de mes amis avait un parent haut placé dans la ville d’Évreux. « Il faut absolument que je le voie, » dis-je au peintre ; je demande son adresse au cafetier, il l’ignore ; je sors et je vais chez tous les boulangers et chez tous les pharmaciens que je rencontre. Tout le monde mange du pain et boit des potions ; il est impossible que l’un de ces industriels ne connaisse pas l’adresse de M. de Fréchêde. Je la trouve, en effet ; j’époussette ma vareuse, j’achète une cravate noire, des gants et je vais sonner doucement, rue Chartraine, à la grille d’un hôtel qui dresse ses façades de brique et ses toitures d’ardoise dans le fouillis ensoleillé d’un parc. Un domestique m’introduit. M. de Fréchêde est absent, mais Madame est là. J’attends, pendant quelques secondes, dans un salon ; la portière se soulève et une vieille dame paraît. Elle a l’air si affable que je suis rassuré. Je lui explique, en quelques mots, qui je suis.

— Monsieur, me dit-elle, avec un bon sourire, j’ai