Page:Les Soirées de Médan.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous reprenons tout tristes le chemin de l’hôpital. On nous ouvre, mais hélas ! un seul de nous est admis, Francis, — et moi on m’envoie au lycée.

La vie n’était plus possible, je méditais une évasion, quand un jour l’interne de service descend dans la cour. Je lui montre ma carte d’étudiant en droit ; il connaît Paris, le quartier Latin. Je lui explique ma situation. « Il faut absolument, lui dis-je, ou que Francis vienne au lycée, ou que j’aille le rejoindre à l’hôpital. » Il réfléchit, et le soir, arrivant près de mon lit, me glisse ces mots dans l’oreille : « Dites, demain matin, que vous souffrez davantage. » Le lendemain, en effet, vers sept heures, le médecin fait son entrée ; un brave et excellent homme, qui n’avait que deux défauts : celui de puer des dents et celui de vouloir se débarrasser de ses malades, coûte que coûte. Tous les matins, la scène suivante avait lieu :

« Ah ! ah ! le gaillard, criait-il, quelle mine il a ! bon teint, pas de fièvre ; levez-vous et allez prendre une bonne tasse de café ; mais pas de bêtises, vous savez, ne courez pas après les jupes ; je vais vous signer votre exeat, vous retournerez demain à votre régiment. »

Malades ou pas malades, il en renvoyait trois par jour. Ce matin-là, il s’arrête devant moi et dit :

« Ah ! saperlotte, mon garçon, vous avez meilleure mine ! »

Je me récrie, jamais je n’ai tant souffert ! Il me tâte le ventre. « Mais ça va mieux, murmure-t-il, le ventre est moins dur. » — Je proteste. — Il semble étonné, l’interne lui dit alors tout bas :

« Il faudrait peut-être lui donner un lavement, et nous n’avons ici ni seringue ni clysopompe ; si nous l’envoyions à l’hôpital ?