Page:Les Soirées de Médan.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.

raient. Nous étions vingt et un dans la chambrée. À ma gauche couchait mon ami, le peintre, à ma droite un grand diable de clairon, grêlé comme un dé à coudre et jaune comme un verre de bile. Il cumulait deux professions, celle de savetier pendant le jour et celle de souteneur de filles pendant la nuit. C’était, au demeurant, un garçon cocasse, qui gambadait sur la tête, sur les mains, vous racontant le plus naïvement du monde la façon dont il activait à coups de souliers le travail de ses marmites, ou bien qui entonnait d’une voix touchante des chansons sentimentales :

Je n’ai gardé dans mon malheur-heur,
Que l’amitié d’une hirondelle !

Je conquis ses bonnes grâces en lui donnant vingt sous pour acheter un litre, et bien nous prit de n’être pas mal avec lui, car le reste de la chambrée, composée en partie de procureurs de la rue Maubuée, était fort disposé à nous chercher noise.

Un soir, entre autres, le 15 août, Francis Émonot menaça de gifler deux hommes qui lui avaient pris une serviette. Ce fut un charivari formidable dans le dortoir. Les injures pleuvaient, nous étions traités de « roule-en-cul et de duchesses ». Étant deux contre dix-neuf, nous avions la chance de recevoir une soigneuse raclée quand le clairon intervint, prit à part les plus acharnés, les amadoua et fit rendre l’objet volé. Pour fêter la réconciliation qui suivit cette scène, Francis et moi nous donnâmes trois francs chacun, et il fut entendu que le clairon, avec l’aide de ses camarades, tâcherait de se faufiler au dehors de l’ambulance et rapporterait de la viande et du vin.