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dans la boîte qui nous roulait. Quelques-uns pleuraient à grosses gouttes, hués par d’autres qui, soûls perdus, plantaient des chandelles allumées dans leur pain de munition et gueulaient à tue-tête : « À bas Badinguet et vive Rochefort ! » Plusieurs, à l’écart dans un coin, regardaient, silencieux et mornes, le plancher qui trépidait dans la poussière. Tout à coup le convoi fait halte, — je descends. — Nuit complète, — minuit vingt-cinq minutes.

De tous côtés, s’étendent des champs, et au loin, éclairés par les feux saccadés des éclairs, une maisonnette, un arbre, dessinent leur silhouette sur un ciel gonflé d’orage. On n’entend que le grondement de la machine dont les gerbes d’étincelles filant du tuyau s’éparpillent comme un bouquet d’artifice le long du train. Tout le monde descend, remonte jusqu’à la locomotive qui grandit dans la nuit et devient immense. L’arrêt dura bien deux heures. Les disques flambaient rouges, le mécanicien attendait qu’ils tournassent. Ils redevinrent blancs ; nous remontons dans les wagons, mais un homme qui arrive en courant et en agitant une lanterne, dit quelques mots au conducteur qui recule tout de suite jusqu’à une voie de garage où nous reprenons notre immobilité. Nous ne savions, ni les uns ni les autres, où nous étions. Je redescends de voiture et, assis sur un talus, je grignotais un morceau de pain et buvais un coup, quand un vacarme d’ouragan souffla au loin, s’approcha, hurlant et crachant des flammes, et un interminable train d’artillerie passa à toute vapeur, charriant des chevaux, des hommes, des canons dont les cous de bronze étincelaient dans un tumulte de lumières. Cinq minutes après, nous reprîmes notre