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LES RAVAGEURS


se tienne sur les fleurs, elle ne recueille pas de quoi faire du miel ; elle n’a jamais aux pattes de derrière la pelote de matière jaune que l’abeille récolte.

Paul. — Ces observations sont très justes ; c’est bien l’Éristale. Vous savez ce que Virgile ne savait pas.

Jules. — Si je le sais, je le dois à l’oncle Paul ; et Virgile apparemment n’avait pas d’oncle Paul.

Paul. — Ni lui, ni bien d’autres. Aujourd’hui même, combien en manquent ! J’entends par là que bien peu reçoivent cette éducation forte qui fait juger des choses par l’expérience, l’observation et la saine raison. On s’en rapporte aux plus grossières apparences, on répète les préjugés reçus. C’est moins pénible et plus tôt fait. Avec l’âge, mon cher enfant, vous apprendrez que de sottises ont cours dans le monde parce qu’on ne veut pas se donner la peine de réfléchir et de voir, de ses propres yeux voir. Que manquait-il au crédule Virgile pour ne pas faire à un Dieu l’injure d’une sotte invention ? Une bagatelle, un rien : se baisser et regarder. Il aurait vu ce qui n’a pas échappé à un enfant, il aurait vu qu’un éristale n’est pas une abeille.

L’erreur est si tenace que dix-sept siècles après Virgile personne encore n’avait élevé de doute sur la croyance insensée de la génération des vers par la pourriture. Un savant italien, Redi, — retenez bien ce nom, mes enfants, il fait date dans l’histoire des progrès de la raison humaine, — un savant italien mit enfin à néant l’antique préjugé par une expérience aussi simple que concluante. Il recouvrit d’une gaze des viandes en voie de putréfaction, des fromages