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LES RAVAGEURS

davantage. Les gens les plus instruits admettaient comme certain que la boue, la poussière, les matières décomposées, les ordures, procréent des animaux, même d’assez grande taille, les rats par exemple, les grenouilles, les anguilles, les couleuvres et bien d’autres. Si les savants de l’antiquité nous affirment dans leurs ouvrages des erreurs aussi grossières, figurez-vous les croyances des gens sans instruction.

Jules. — Ces savants ignoraient donc que les grenouilles viennent des têtards, lesquels naissent des œufs pondus par d’autres grenouilles ?

Paul. — Ils l’ignoraient.

Émile. — Ils n’avaient qu’à regarder dans une mare.

Paul. — Ils ne savaient pas regarder. En ces vieux temps, on raisonnait beaucoup, beaucoup trop, car parfois on déraisonnait ; mais rarement s’avisait-on d’examiner ce qui est réalité. La patiente observation, mère des sciences, leur était inconnue. Ils disaient : « C’est cela, » avant d’avoir vu ; de nos jours, on voit avant de dire : « C’est cela. » Par ce renversement de méthode, l’esprit scientifique est parvenu, dans l’intervalle d’un siècle à peine, au degré de puissance qui nous émerveille aujourd’hui de ses prodiges. C’est l’observation qui nous a donné le moyen de nous défendre de la foudre avec le paratonnerre, de franchir en peu de temps des distances énormes avec le secours de la vapeur qui fait mouvoir les locomotives des chemins de fer, de transmettre en un instant la pensée d’un bout du monde à l’autre avec le télégraphe électrique.