Page:Les Ravageurs, Jean-Henri Fabre.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
LES RAVAGEURS

s’y résigner pour éviter un mal plus grand. La cautérisation est l’affaire du médecin. Les précautions préliminaires, ligatures pour empêcher la diffusion du venin, pression pour faire écouler le sang empoisonné, succion énergique pour extraire le liquide venimeux, nous concernent personnellement, et tout cela doit être fait à l’instant même. Plus on tarde, plus le mal s’aggrave. Quand ces précautions sont prises assez tôt, il est rare que la morsure d’une vipère ait des conséquences fâcheuses.

Jules. — Vous me rassurez, mon oncle. Ces précautions ne sont pas difficiles à prendre, si on conserve sa présence d’esprit.

Paul. — Aussi nous importe-t-il à tous de nous habituer à raisonner le péril et à ne pas nous laisser gagner par des frayeurs déréglées. L’homme maître de lui-même est à demi maître du danger.

Émile. — Vous venez de dire, mon oncle, morsure de vipère, et non piqûre. Alors les serpents mordent et ne piquent pas. Je croyais le contraire. J’ai toujours entendu dire qu’ils ont un aiguillon, un dard. Jeudi passé, Louis, qui n’a peur de rien, avait pris un serpent dans un trou de vieux mur. Il était avec deux de ses camarades. On lia la bête par le cou avec un jonc. Je passais, on m’appela. Le serpent dardait de sa gueule quelque chose de noir, de pointu, de flexible, qui allait et venait avec rapidité. Je croyais que c’était le dard, et j’en avais une belle frayeur. Louis riait. Il disait que ce que je prenais pour aiguillon était la langue de la bête ; et, pour me le prouver, il en approcha le doigt.

Louis. — Moi, je savais bien que c’était la langue.