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LE RÉFECTOIRE

en nombreux appartements, où l’on peut se rendre par des trous ménagés à dessein à travers les enceintes multiples du nid. Chaque enceinte de toiles a ses portes, qui, sans être disposées en enfilade, permettent une libre circulation. Enfin le nid commun, quoique fait d’une soie extrêmement fine, est d’une solidité à l’épreuve du vent et des intempéries, car les chenilles y emploient un nombre très considérable de toiles, disposées les unes au-dessus des autres et formées d’une quantité prodigieuse de fils. Lorsque les premiers froids se font sentir, toutes s’enferment, les portes sont barricadées avec de la soie, et c’est fait : maintenant la bise peut souffler, la neige peut tomber. Courbées sur elles-mêmes, serrées l’une contre l’autre, les chenilles dorment du profond sommeil qu’amène le froid ; elles restent engourdies dans leur maison de soie jusqu’à ce que la chaleur du printemps les réveille aux premières feuilles.

Émile. — Et de tout l’hiver elles ne mangent rien ?

Paul. — De tout l’hiver, y compris une partie de l’automne et du printemps, elles ne prennent aucune nourriture. Leur jeûne est de six mois, jeûne absolu qui doit leur creuser l’estomac d’une belle manière.

Émile. — Elles doivent avoir bien faim quand elles se réveillent.

Paul. — Tellement faim, qu’elles se jettent sur les feuilles qui poussent, les fleurs qui éclosent, et en moins de rien font table rase d’un verger. Si les nids sont abondants, des forêts entières sont broutées jusqu’à la dernière feuille.

Émile. — Et alors ?