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LE BOMBYX LIVRÉE

l’aide de ses mandibules, déjà robustes, la toute petite chenille fait sauter par morceaux le couvercle de l’œuf. Que le monde est grand, doit se dire la chétive bestiole en sortant la tête par le trou de sa coque ; que le soleil est bon ! Ces feuilles tendres sont faites pour moi. — Et sans délai, le corps encore moite des humeurs de l’œuf, elle accourt aux bourgeons, dont les feuilles commencent à montrer la pointe verte. Le repas n’est pas copieux, il est vrai, mais l’appétit est bon. N’êtes-vous pas frappés comme moi, mes enfants, de cette robusticité de l’estomac des chenilles, qui, tout juste écloses, se mettent à brouter le feuillage ? Avant la bouchée d’herbe, il faut à l’agneau le lait, cet aliment raffiné du jeune âge ; il en faut au chien avant l’os ; il en faut au cheval avant la brassée de fourrage ; et la chenille, si faible, si petite, a pour premier repas une substance coriace, indigeste, qui les ferait périr, eux, relativement des colosses énormes. Les larves, mes amis, n’ont pas le temps de suivre ce régime qui passe graduellement de l’aliment léger à l’aliment lourd à mesure que l’estomac se fortifie ; elles doivent d’emblée, sans préparation, manger de tout et beaucoup. Aucune ne manque à ses fonctions de grand mangeur ; traînant encore les débris de l’œuf, telle ronge pour première bouchée le bois de charpente, telle autre le grain le plus dur.

Lorsque tous les œufs d’un bracelet sont éclos, et que le premier appétit est satisfait, les jeunes chenilles se mettent à filer et construisent en commun une tente de soie englobant dans son intérieur le bouquet de feuilles de quelques bourgeons. Elles ont ainsi pour quelque temps des vivres à domicile, sans aller