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LE LILAS CASSÉ

village lui disent : maître Paul. Ce savoir, il le doit beaucoup à l’expérience, et beaucoup aux livres, qu’il a de tout temps aimés.

Ses deux neveux sont avec lui, Jules et Émile. Jules, l’aîné, lit couramment ; il écrit même sa page en fin, non sans se barbouiller les doigts d’encre et quelquefois aussi la figure ; tout cela par trop de précipitation, car il sait que, la page faite, il lui sera permis d’aller au jardin arroser le semis d’œillets. Pour prendre patience en disant la leçon, Émile caresse sa toupie dans la poche, sa belle toupie qui ne le quitte guère. Mon Dieu ! qu’il est pénible d’écrire sa page, de dire sa leçon quand on a une toupie qui ronfle, un semis d’œillets qui lève ! Mais aussi quel affreux malheur pour nous si, devenus grands, nous ne savions écrire ni lire !

Dans le jardin de l’oncle, Émile et Jules ont chacun leur petit carré, qu’ils cultivent comme bon leur semble. Jardiner est pour eux le plus grand des plaisirs. Quand ils manient la bêche, un peu lourde pour leurs jeunes bras, ils s’échauffent et deviennent rouges comme des pivoines, tant ils mettent de l’entrain au travail. Puis, c’est le tour du râteau ; puis, le tour de l’arrosoir ; puis, on dépote, on transplante, on émonde, on fait des boutures qu’on abrite sous un verre fêlé en guise de cloche, des semis qu’on n’a pas toujours la patience de laisser venir à bien. Depuis avant-hier, Émile a semé six haricots. Il les a déterrés déjà trois fois pour voir si les racines poussent. Ce n’est pas Jules qui aurait commis cette étourderie : il sait trop bien que les graines doivent être laissées en paix dans la terre si l’on veut qu’elles germent.