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comprends qu’un pauvre diable, un « sans le sou » ou encore un simple ouvrier expriment tout net leur façon de penser. Après tout, ils ne risquent pas grand’chose ; tout au plus courent-ils le danger d’être congédiés de l’usine ou de l’atelier ou ils travaillent. Eh bien ! le lendemain, ils ont la ressource de s’embaucher ailleurs !… »

— « Pardon, lui objectai-je, ne concevez-vous pas que risquer son salaire quand on ne possède pas d’autres moyens d’existence, c’est aussi grave que d’exposer sa situation quand on en a une, puisque la perte de ce salaire comme la perte de cette situation aboutissent au même résultat : jeter un homme sur le pavé ? Il est, parfois, plus difficile de retrouver un patron que de se refaire une clientèle. Et puis… une clientèle se compose d’un nombre plus ou moins considérable d’individus. À supposer que, par l’affirmation de ses idées révolutionnaires, un commerçant compromette ses affaires, il a mille moyens de recourir à des compensations ; tandis que le travailleur, l’ouvrier qui joue son travail sur une parole ou sur une attitude se trouve, peut se trouver, du soir au lendemain, sans occupation, sans abri, sans pain. »

Longtemps, mon interlocuteur discuta pour parvenir à me persuader qu’il trouvait bien et avait raison de trouver juste que les autres s’affirmassent, mais qu’il était bien et avait raison de trouver juste qu’il s’abstint lui-même de toute participation à l’œuvre commune de propagande et de révolution.

En vain, lui expliquai-je que des convictions qui se cachent sont nulles et stériles. En vain tentai-je de lui faire comprendre que l’inconscient est préférable au conscient qui n’agit pas, parce que l’ignorant d’aujourd’hui peut, si la lumière pénètre dans son intelligence, devenir un flambeau tandis que l’éclairé qui se couvre d’un éteignoir favorise l’universel obscurantisme ; le bonhomme resta figé dans sa manière de voir, jusqu’à ce que, prenant un air mystérieux, je lui glissai dans l’oreille ces mots confidentiels :

— « Mon cher Monsieur, une confidence en vaut une autre. Vous m’avez livré le secret de vos convictions intimes ; à mon tour de vous révéler un secret de la plus haute gravité. Ce secret n’est pas le mien ; mais à un homme qui, comme vous, se montre si prudent en affaires, j’estime qu’on peut, sans