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— « Comment donc ! me répondit-il. Je suis en parfaite communion d’idées avec vous et tout nos amis. Je lis tout ce qui paraît d’anarchiste. Je possède chez moi, dans une bibliothèque que renferme un placard de mon cabinet de travail, je possède tout ce qui a paru de libertaire depuis vingt ans ».

Et mon interlocuteur me cita des titres de volumes, de brochures, de publications périodiques et des noms d’auteurs. Il formula sur ces derniers et sur leurs œuvres des appréciations de nature si précise, que je n’hésitai plus à croire que j’avais affaire à un camarade d’idées.

Alors, la conversation prit un tour familier. Je demandai à mon nouvel ami comment il se faisait que je fusse resté si longtemps sans le connaître, et par suite de quelles circonstances il s’était décidé à me venir voir.

Voici ce qu’il me répondit :

« Je suis libertaire. Je déteste tout ce qui existe et les institutions sociales actuelles ne sauraient provoquer chez personne une exécration plus violente, un dégoût plus profond que la haine et le mépris qu’elles m’inspirent à moi même. Tout ce que vous ressentez, je le ressens : tout ce que vous exprimez, je le pense, et ce n’est pas d’hier, je vous prie de le croire, que je suis révolutionnaire. Si vous ne me connaissez pas, si personne ne me connaît — comme libertaire — c’est que ma situation me condamne, hélas ! au silence, à l’effacement. Je ne suis pas riche ; mais enfin, j’ai quelque aisance ; et, si je souffre énormément de ne rien dire de ce que je sens, de ce que je comprends, de ce que je veux, je me console en songeant qu’il ne résulterait pas grand bien de la petite besogne que je pourrais accomplir, et que le peu de propagande qu’il serait en mon pouvoir de faire ne compenserait pas la perte à peu près certaine de ma situation. »

— « Que faites-vous ? » lui demandai-je.

— « J’ai une situation, me dit-il — sans répondre bien nettement à ma question peut-être légèrement indiscrète, — qui me met en rapport avec un peu tout le monde. Bien rares, j’en suis sûr, sont ceux qui, dans le nombre, pensent comme vous et moi. Or, je dois ménager le public qui me fait vivre et il est certain que si je ne cachais pas rigoureusement mes convictions, avant peu ma situation serait compromise. Je