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établies entre ces deux hommes de Dieu, dont les noms deviennent dès lors inséparables.

En effet, au moment où Frédéric ouvrait son cœur à Richard pour lui manifester ses désirs et lui demander les conseils de son expérience et de son amitié, celui-ci avoua qu’il se sentait, depuis quelque temps surtout, agité des mêmes pensées, et qu’il songeait sérieusement à quitter le siècle pour se consacrer à Dieu dans la vie monastique. Dès ce moment, leur résolution fut prise, et ils commencèrent à délibérer pour savoir vers quelle maison religieuse ils dirigeraient leurs pas. Leur choix se fixa sur Saint-Vannes, à Verdun, qui jouissait d’une grande réputation de régularité. Ce monastère, ruiné autrefois par les Barbares, n’avait que de faibles revenus et imposait à ses membres des privations de tout genre. Il avait pour abbé un Irlandais, appelé Fingen, homme d’une vertu et d’une austérité exemplaires. En voyant se présenter Frédéric et Richard qui lui demandaient de les recevoir au nombre de ses enfants spirituels, il rendit grâces à Dieu ; mais remarquant en même temps que ces deux personnages appartenaient à des familles nobles et riches, il craignit qu’ils ne pussent se soumettre aux observances qu’imposait la règle. Plusieurs épreuves auxquelles il les soumit ne servirent qu’à manifester avec plus d’éclat la vertu des deux postulants. Frédéric, en particulier, s’étudiait à faire oublier à ses frères, par son humilité et son abnégation, de quelle race il était descendu. L’on ne pouvait s’empêcher d’admirer ce seigneur devenu un pauvre moine, un serviteur infatigable, dans cette ville de Verdun où, quelques années auparavant, il commandait en maître. Même à cette époque, malgré la vivacité de la foi dans le cœur des peuples, on avait peine quelquefois à apprécier cette sainte folie de la croix. Un jour même Godefroy, frère de Frédéric, ne put s’empêcher de lui reprocher sa conduite. Etant venu le soir au monastère, il le trouva occupé à laver la vaisselle. « Quelle occupation pour un comte ! » lui dit-il d’un air dédaigneux. — « Vous avez raison, mon frère », répondit l’humble religieux, « elle est fort au-dessus de moi, car qui suis-je pour mériter de rendre les moindres services à saint Pierre et à saint Vannes, patrons de cette maison ? » Un autre fois, un des religieux voulant le déchausser, Frédéric lui fit cette réponse : « A quoi me servirait d’avoir quitté les honneurs du siècle si, sans nécessité, je recevais de mes frères les services qu’on m’a rendus autrefois dans le monde ? Je ne suis point ici pour être servi, mais pour servir ». Cette conduite de Frédéric fit la plus profonde impression, non-seulement sur les religieux de Saint-Vannes, mais sur les grands du monde et en particulier sur les membres de sa famille. Hermann, l’un do ses frères, voulut se consacrer à Dieu, avec son fils Grégoire, dans cette même communauté, et sous la conduite du vénérable Richard, nommé abbé à la mort de Fingen. Appelé plus tard au monastère de Saint-Vaast d’Arras, pour y établir la réforme, Richard emmena avec lui Frédéric et lui confia les fonctions de prévôt. Celui-ci s’en acquitta avec zèle et prudence jusqu’au jour de sa mort, qui arriva le 6 janvier 1020. L’abbé Richard fit transporter le corps de son pieux ami au monastère de Saint-Vannes à Verdun, et ne conserva à Arras que ses entrailles.