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APRÈS DADA


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M. Marcel Arland a publié dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue Française une étude sur un nouveau mal du siècle ; en dehors des clans et des coteries, il essaie de préciser quel esprit détermina les tentatives de la génération qui suivit immédiatement la guerre et dont, écrit-il, la plus intéressante et presque la seule manifestation fut le mouvement dada.

Avant 1914, Apollinaire avait eu déjà le sentiment où si l’on veut le pressentiment d’un esprit nouveau qui, d’ailleurs, se manifestait alors dans les arts plastiques bien plutôt que dans les œuvres littéraires. Calligrammes, poèmes que lui inspira la guerre, marquent une date. Mais Guillaume Apollinaire devait mourir en 1918.

En 1919 une revue, intitulée par antiphrase Littérature, publie les lettres de Jacques Vaché : cette correspondance d’un jeune homme mort tragiquement révèle une étrange personnalité. Pour les directeurs de Littérature, (Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault) elle symbolisait toute l’anxiété, le désespoir, la contradiction, le courage de l’intelligence et le sens d’une grandeur dont ils espéraient que l’époque serait marquée. Puis c’est l’arrivée de tristan Tzara qui, dès 1916 avait pris pour titre de revue Dada : quelques amis et moi écrit-il, dans une lettre ouverte à Jacques Rivière, parue dans le numéro de décembre 1919 de Littérature, pensions n’avoir rien de commun avec les futuristes et les cubistes. Au cours des campagnes contre tout dogmatisme et par ironie envers la création d’écoles littéraires, Dada devint le mouvement dada. Ce mouvement à Paris s’exprima dans des manifestations auxquelles fut réservé l’accueil que l’on sait. Mais déjà Tzara notait l’absence de système est encore un système. Il ne fallait pas que le mouvement s’arrêtât, devînt école d’un certain genre avec son point de vue et ses règles arbitraires. Le mouvement dada était terminé ; mais l’esprit se continue dont il fut une illustration épisodique. Il y a deux ans, pour le préciser, se prépara un congrès du modernisme. Si tout échoua, faute d’accord, la réalité de ce qu’on nomme communément l’esprit nouveau n’en demeure pas moins sensible. Une inquiétude virile marque notre siècle dont la grandeur n’est pas dans ce qu’il a déjà donné, mais dans ce qu’il promet, hors de toute vulgarisation facile, de tout optimisme borné, de toute combinaison. L’esprit nouveau dépasse d’ailleurs le domaine de l’art : il n’est pas systématiquement dans les livres comme un Bouddha au milieu d’une cheminée, il est dans la vie et c’est lui qui demande la révision des valeurs, la destruction des idoles, une foi nouvelle. Du point de vue littéraire il est l’ennemi juré de cette poésie frivole que Pascal comparaît, méprisant, aux travaux des brodeurs.