VOICI… UNE ENQUÊTE
Et quelques opinions sur le suicide
Une raison, et décisive, que j’ai d’avoir, malgré tout et malgré tous, confiance en ce siècle, m’est donnée par le mépris où les plus curieux tiennent toute excitation purement esthétique et tout souci excessif d’art.
D’autres problèmes sont là qui sollicitent et peu importe aux plus avancés de nos écrivains la forme dont ils useront pour s’exprimer. C’est ainsi que seules les questions essentielles les préoccupent. Que Pierre Morhange, par exemple, au nom du groupe de Philosophies demande à ses contemporains ce qu’ils pensent de Dieu, voilà, certes qui ne m’apparaît point risible, encore moins choquant, mais, au contraire, digne de respect et d’autant plus que, grâce à son insinuante gravité, il n’est plus guère possible de se dérober par le talisman médiocre d’un sourire à cette angoisse dont s’embellissent mieux que de n’importe quelle fleur naturelle ou fabriquée les âmes et les œuvres qui nous en donnent le reflet.
Aussi, suis-je certain que, dès le prochain numéro de Philosophies, certaines réponses nous vaudront de méditer tout comme nous engagent à le faire les pages de la Révolution surréaliste et du Disque vert consacrées au suicide.
Le directeur du Disque vert, Franz Hellens, s’est adressé directement à ceux dont il lui plaisait de connaître les idées.
Quant à la Révolution surréaliste, elle a lancé, il y a plusieurs semaines, l’enquête suivante :
« On vit, on meurt. Quelle est la part de volonté dans tout cela ? Il semble que l’on se tue comme en rêve. Ce n’est pas une question morale que nous posons.
Le suicide est-il une solution ? »
À une telle demande, on prévoit trop facilement quelles objections sociales et opportunistes ne peuvent manquer de susciter la frivolité des uns, l’esprit chagrin des autres. Que pensez-vous de Dieu, du suicide ? se demanderont, ironiques, des petits maîtres qui ne sont pas des maîtres. Qu’importe ! Il ne faut pas se soucier de ceux qui sont assez mesquins pour ne point croire en l’inquiétude d’autrui, alors qu’ils témoignent pour la leur propre d’une complaisance qu’il est difficile de ne point confondre avec l’exhibitionnisme. Déjà, dans le Disque vert, Marcel Arland, qui intitule ses pages : Sous le signe de la mort, écrit : Mais il me semble qu’un certain snobisme littéraire veuille aujourd’hui le (le suicide) mettre en vogue et le prendre pour mot de ralliement.
Que Marcel Arland qui, dans Étienne, a choisi des héros titrés et soi-disant du monde, des héros dont les noms, comme disent les plus classiquement spirituels des roturiers jaloux, se divisent, que Marcel Arland ne craigne rien.
L’enquête de la Révolution surréaliste, qui me paraît visée par cette phrase, est trop touchante pour qu’on permette de parler de snobisme ou même (ce qui reviendrait au même) de volonté de scandale.
Dans cette proposition : « On se tue comme en rêve », Edmond Jaloux qui la reprend voit une parole extrêmement significative et profonde ; et certes qui a souci de flatter les snobs ne tiendrait pas semblable langage.
Tout comme l’enquête de Philosophies, l’enquête de la Révolution surréaliste et l’initiative de Franz Hellens, le directeur du Disque vert, prouvent que l’ère des divertissements et des jeux relatifs et provisoires s’achève.
Et ce grave courage, de quelque violence qu’en puisse devenir l’expression, déjà laisse entrevoir les temps d’une sérénité future. Je parle de sérénité et non de cette apparence de sérénité dont veulent se leurrer les lâches aux bouches closes, aux cœurs muets, aux esprits peureux. En qui espérer, à la vérité, si ce n’est en ceux qui, pleins de mépris pour une paix provisoire et précaire, n’hésitent pas à sonder les cœurs et les reins.
Aussi, me suis-je étonné de la réponse de M. Francis Jammes à l’enquête de la Révolution surréaliste : La question que vous posez, écrit-il, est d’un misérable, et si jamais un pauvre enfant se tue à cause d’elle, ce sera vous l’assassin.
Sans doute à l’émoi de Francis Jammes, pourrions-nous proposer la phrase de Nietzsche que cite le Disque vert : La pensée du suicide est une puissante consolation. Elle aide à passer plus d’une mauvaise nuit. Mais la Révolution surréaliste, fixant ses intentions, remarque elle-même qu’il ne faut pas croire que poser la question du suicide c’est la résoudre, que demander si le suicide apporte cesse à l’homme au milieu des immenses malheurs qui l’accablent, c’est lui faire entrevoir ce soulagement final et du coup l’y pousser.
Et parce qu’il ne s’agit pas de reculer devant les conséquences de la pensée, en toute logique, la Révolution surréaliste déclare : Si le suicide était une solution, nous nous glorifierions d’y pousser le monde.
Mais encore une fois, la Révolution surréaliste n’a pas déclaré une seule minute que le suicide fût une solution. Elle demande seulement aux hommes de bonne volonté ce qu’ils en pensent.
Quant aux avis des surréalistes eux-mêmes sur la question, ils sont bien faits pour écarter tout soupçon de volonté démoniaque.
André Breton répond par une phrase de Théodore Jouffroy : Le suicide est un mot mal fait, ce qui tue n’est pas identique à ce qui est tué.
Dans le Disque vert, Antonin Artaud s’écrie : « Avant de me suicider, je demande qu’on m’assure de l’être, je voudrais être sûr de ma mort, et dans la Révolution surréaliste, où il affirme avec une simplicité émouvante son mal terrestre (je souffre affreusement de vivre), il constate en pleine douleur : Non, le suicide est encore une hypothèse. Pierre Naville, l’un des directeurs de la revue, affirme : La vie ne comporte pas de solution.
Les phrases des trois surréalistes suffisent à prouver que l’enquête n’est pas un jeu morbide, et il ne s’agit point de mettre en vogue une maladie ou un vice nouveau, comme semble redouter Marcel Arland. Et certes faire du suicide une maladie ou un vice nouveau serait du plus écœurant wildisme, mais puisque, encore une fois, l’ère des divertissements s’est achevée, que de telles craintes nous soient au moins prétextes à déclarer que le surréalisme n’a rien à voir avec les ballets roses ou les messes noires qu’imaginent de frivoles maîtres de cérémonies pour le bonheur des hommes sans intelligence et sans tempérament.
Les réponses mêmes que nous ne pouvons toutes citer ici prouvent qu’une telle enquête touche directement, contraint à une réaction salutaire. Ainsi des réponses ont-elles trouvé leur expression en des formules si dépouillées que des œuvres et des pensées tout à coup s’éclairent.
Marcel Jouhandeau nous apporte la clef d’une œuvre mystique. De cette clef, devront se servir pour le plus grand bien ceux qui n’ont point encore entrepris un voyage à l’Enfer de Pincengrain ou au Paradis de Paul Kraquelin. La voici : La vérité c’est que je serai toujours, et Dieu.
Le suicide est inutile.
Écoutez aussi le subtil et mystérieux Jean Paulhan, dont la Révolution surréaliste dit qu’il s’imite en sa réponse :
Nous ne saurions mourir en trop bon état. Mais faut-il pour cela se suicider ? Il est peu de gens qui ne gagnent à être malades.
Il serait arbitraire encore que fort possible de coordonner, en vue de quelque conclusion récapitulative et d’ensemble, les réponses que publie la Révolution surréaliste et les études parues dans Le Disque vert. Au reste, je ne crois pas que tel ait été le dessein des surréalistes et de Franz Hellens. Ils ont contraint quelques-uns de leurs contemporains à un examen de conscience. Pouvaient-ils mieux faire ?
Pour terminer cette note, en réponse à la phrase : Il semble qu’on se tue comme en rêve, qu’il me soit permis de citer ce fait divers qu’André Gide qui le découvrit dans un journal se plaît à citer.
Un jour, on trouva dans son lit un homme, la gorge tranchée. À son chevet, sur une table, était un papier avec ces mots :
J’ai rêvé que je me coupais la gorge. Quand je me suis réveillé, je me suis aperçu que c’était vrai ! »