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LES MILLE ET UN JOURS

m’aime passionnément. Je lui confesserai ma faute. J’espère qu’il me la pardonnera, et j’ose me promettre qu’il te comblera de bienfaits.

— Non, madame, dis-je alors à la princesse, je ne demande rien pour vous avoir sauvée. Le ciel m’est témoin que je ne m’en repens pas ; mais, je vous l’avoue, je suis au désespoir d’avoir si bien servi votre ressentiment. Vous avez abusé de ma complaisance en me faisant contribuer à une trahison. Vous deviez plutôt m’obliger à vous venger noblement. J’aurais volontiers exposé ma vie pour vous. »

Enfin, seigneur, quoique je trouvasse Namahran justement puni, j’avais tant de regrets de l’avoir moi-même conduit à la mort, que j’abandonnai sur-le-champ la dame et méprisai ses promesses. Je sortis de la ville avant le jour, et j’aperçus sitôt qu’il parut une caravane de marchands qui était campée dans une prairie. Je la joignis, et comme elle allait à Bagdad, où j’avais envie de me rendre, je partis avec elle.

J’y arrivai heureusement ; mais je me trouvai bientôt dans une situation fort triste. J’étais sans argent, et il ne me restait de toute ma fortune passée qu’un sequin d’or. Je m’avisai de le changer en aspres. J’en achetai des pommes de senteur, des dragées, des baumes et des roses. J’allai tous les jours chez un marchand de fiquaa[1] où plusieurs seigneurs et autres personnes avaient coutume de s’assembler pour s’entretenir ensemble. Je leur présentais dans une corbeille ce que j’avais acheté. Chacun prenait ce qu’il voulait, et ne manquait pas de me donner quelque argent. Si bien que ce petit commerce me fournissait de quoi vivre commodément.

  1. Boisson composée d’eau, d’orge et de raisins secs.