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LES MILLE ET UN JOURS

demanda la princesse sa fille pour mon fils. Le roi de Cachemire fit réponse qu’il tenait à fort grand honneur mon alliance ; mais qu’il avait juré par Kesaya qu’il ne marierait point sa fille malgré elle ; que cette princesse haïssait mortellement les hommes, et que cette aversion était l’effet d’un songe ; qu’une nuit elle avait rêvé qu’une biche, après avoir délivré un cerf d’un piège où il était pris, s’était laissée prendre elle-même, et que le cerf avait été assez ingrat pour refuser de la secourir ; que depuis ce songe, elle regardait les hommes comme autant de monstres que les femmes ne pouvaient assez éviter. Mon ambassadeur me rapporta cette réponse, et mon malheureux fils, perdant l’espérance d’épouser la princesse cachemirienne, tomba dans une langueur qui l’a consumé, malgré les remèdes que mes médecins ont pu lui donner. »

Farrukhschad n’entendit point cette histoire sans être agité par divers mouvements. S’il avait le plaisir de penser avec fondement que son songe n’était pas une chimère ; d’un autre côté, les rigueurs de sa princesse lui faisaient craindre la destinée du prince de Gaznine. Le roi s’aperçut de son agitation : « Ô mon fils, lui dit-il, pourquoi vous troublez-vous ? Vous me paraissez tout hors de vous-même. — Seigneur, répondit le prince, je n’ai quitté ma patrie que pour cette inhumaine princesse. »

Alors il lui raconta son songe, et le roi, après l’avoir écouté, dit en soupirant : « Juste ciel ! pourquoi faut-il que ma vie soit un tissu de peines et d’ennuis ? J’ai élevé mon fils avec un soin extrême ; je l’ai perdu, et quand je commence à me consoler de sa perte, une douleur nouvelle vient me faire sentir son amertume. Ô bizarre destinée ! Mais, mon cher