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CONTES ORIENTAUX

Ciel ! que me dites-vous, m’écriai-je fort surpris ; un songe, une chimère peut-elle faire tant d’impression sur un esprit si raisonnable ? — J’ai prévu ton étonnement, répliqua Farrukhschad ; mais je t’avoue ma faiblesse ; je la cache avec soin à tout le monde, et ce n’est qu’à toi seul que je puis faire une pareille confidence. Apprends donc la cause bizarre de mon mal. J’ai rêvé que j’étais dans une prairie toute parsemée de fleurs ; il est venu une jeune dame plus belle qu’une houri ; je n’ai pu résister à ses charmes ; je me suis prosterné à ses pieds, et je lui ai fait un aveu de mon amour ; mais au lieu de m’écouter, l’inhumaine a secoué sa robe et m’a dit d’un air dédaigneux : « Passe ton chemin, les hommes sont des traîtres : car j’ai vu en songe une biche, qui, après avoir dégagé par ses efforts un cerf arrêté dans un piège, est elle-même tombée dans un autre ; et le cerf, loin de lui rendre la pareille, a eu l’ingratitude de l’abandonner. Je juge par là du cœur des hommes ; je les crois tous ingrats, et j’ai renoncé à leur amour. »

J’ai voulu, poursuivit le prince, prendre le parti des hommes et la détromper ; mais la cruelle s’est éloignée de moi. « Ah ! ma déesse, me suis-je aussitôt écrié, dites plutôt que c’est la biche qui abandonne le cerf. » En prononçant ces paroles, je l’ai perdue de vue, et je me suis réveillé. Voilà, cher ami, le funeste songe qui trouble le repos de ma vie ; je sais bien que la raison devrait me détacher de ces vaines images, que c’est une folie de conserver… — Non, seigneur, interrompis-je avec précipitation, il ne faut point les effacer de votre esprit ; je commence à me prêter comme vous à ces agréables fantômes ; je les crois moins formés par le sommeil que par quelque favorable génie qui aura voulu vous présenter les traits de