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CONTES ORIENTAUX

pour satisfaire pleinement voire curiosité, je vous dirai que le prince Farrukhschad a rêvé qu’il vous voyait dans une prairie. Charmé de votre beauté, il a voulu vous parler d’amour ; mais vous l’avez quitté brusquement, en lui disant que les hommes n’étaient tous que des traîtres. La peine que vous lui avez causée en vous séparant de lui l’a réveillé, et à son réveil, loin de chercher à se distraire des images de ce triste songe, il a pris plaisir à se les rappeler. Il les a sans cesse présentes à sa pensée, et quoique sans espérance de posséder vos charmes, il en conserve précieusement le souvenir. »

À ce discours du grand-prêtre, la princesse cachemirienne fit un profond soupir, et levant les yeux au ciel : « Ô Dieu, s’écria-t-elle, est-il possible que ce prince ait fait le même songe que moi ! Saint derviche, poursuivit-elle, Kesaya ne vous a pas tout dit. J’ai rêvé aussi que je voyais, dans une prairie parsemée de mille sortes de fleurs, le plus beau prince du monde ; qu’il m’a fait une déclaration d’amour que j’ai très mal reçue ; mais, dans le temps que je le maltraitais, j’ai senti que mon cœur commençait à s’intéresser pour lui, et j’ai été obligée de le fuir avec précipitation, de peur que, par sa bonne mine et par ses discours flatteurs, il ne triomphât de la haine que j’avais pour les hommes. Cette haine était l’effet d’un autre songe que démentent ces peintures qui s’offrent à mes yeux. Je reconnais mon erreur : je juge mieux des hommes, je les crois capables d’amitié ; et, si c’est la volonté du ciel que j’épouse le prince de Perse, je m’y soumets sans répugnance. »

Le grand-prêtre fut charmé d’entendre parler ainsi la princesse, et profitant de la disposition où il la voyait : « Ma fille, lui dit-il, je veux aller passer cette