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LES MILLE ET UN JOURS

CXI

Ganem ne se paya pas de ces maximes. « Camarade, répliqua-t-il, la passion de vivre à son aise sans rien hasarder est l’avant-coureur d’une vie méprisable et ignominieuse ; mais on court à la gloire et à la félicité en s’exposant aux dangers. Qui donne dans la mollesse ne goûte ni la joie ni le plaisir d’avoir souffert, et qui craint le mal de tête se prive de la douceur du bon vin. Qui a du courage ne borne pas son bonheur à mener une vie privée et misérable. Le véritable repos est celui dont on jouit lorsqu’on est élevé au-dessus des autres. Ne délibérons pas plus longtemps. Il n’est pas moins de notre honneur que de notre intérêt de ne pas continuer notre voyage que nous n’ayons monté au haut de cette montagne, malgré le courant rapide, malgré les lions et malgré les épines. Nous souffrirons quelque chose, mais après cela, il est à croire qu’en récompense de nos peines et des déserts que nous aurons passés, nous trouverons de belles campagnes.

— Faites ce qu’il vous plaira, répliqua Salem ; pour moi, je ne puis m’empêcher de vous dire encore qu’il n’y a pas moins de folie d’entreprendre ce que vous prétendez, que de vouloir voyager par un désert dont on n’est pas certain de trouver bientôt l’extrémité, ou de naviguer sur une mer dont on ne trouve jamais le rivage. En quelque entreprise que ce soit, il ne faut pas moins savoir comment on en sortira, l’endroit par où l’on doit la commencer, afin de ne pas travailler