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LES MILLE ET UN JOURS

ayant appris l’évasion du prisonnier, envoya chercher le concierge et lui dit : « Ô misérable, est-ce ainsi que tu fais ton devoir ? Tu as laissé échapper un criminel qui était sous la garde, ou plutôt tu l’as mis toi-même en liberté. Si tu ne le retrouves dans vingt-quatre heures, tu éprouveras le sort qui lui était destiné. — Monseigneur, répondit le concierge, je ne refuse pas de mourir pour lui. Je vous l’avouerai, c’est moi qui l’ai sauvé ; je n’ai pu souffrir qu’il pérît. Je lui ai ouvert les portes de la prison et je lui ai conseillé de prendre la fuite. Je confesse mon crime, je suis prêt à l’expier par la mort que vous prépariez au plus honnête homme de Bagdad, et j’ose dire au plus innocent. — Et quelle preuve, dit le vizir, as-tu de son innocence ? — L’aveu qu’il m’en a fait lui-même, reprit le concierge. Abderrahmane est incapable de mentir ; mais vous, monseigneur, permettez que je vous représente que vous vous êtes laissé trop facilement prévenir. Connaissez-vous les accusateurs du jeune marchand ? Êtes-vous sûr de leur intégrité, pour pouvoir les croire sur leur parole ? Ne seraient-ils point ennemis secrets de l’accusé ? Savez-vous si l’envie et la haine ne les arment point contre lui ? Prenez garde de vous laisser séduire par des imposteurs, et craignez de répandre le sang des innocents, car vous serez un jour obligé de rendre compte du pouvoir dont vous êtes revêtu ; vous en serez récompensé si vous n’en faites qu’un bon usage ; mais vous en serez puni si vous en abusez. »

Ces paroles, que le concierge prononça d’un ton ferme, étonnèrent le grand-vizir et l’obligèrent à rentrer en lui-même. Il fit emprisonner le concierge jusqu’à nouvel ordre, et résolut de ne rien oublier pour découvrir si les accusateurs du jeune marchand