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LES MILLE ET UN JOURS

qu’il ne pourrait la regarder impunément ? Il va languir dans sa cour ; les femmes de son sérail, de quelque beauté qu’elles soient pourvues, ne pourront lui faire oublier la fatale Circassienne dont il est occupé : j’en juge par moi-même ; un cœur qu’elle a charmé ne peut brûler d’un autre amour ; j’aurai donc à me reprocher toute ma vie que je fais l’infortune d’un roi, plus grand encore par ses vertus que par sa couronne : c’est moi qui, par un transport d’amant indiscret, interromps le cours de ses jours heureux : pour prix de toutes les marques d’amitié que j’ai reçues de lui, est-il juste que je lui plonge un poignard dans le cœur ? Non, mon cher prince, non, Abderrahmane ne vous laissera point dans l’état cruel où il vous a réduit ! Je suis prêt à m’immoler pour vous ; je vais vous céder Zeineb, j’y suis résolu. »

Aussitôt qu’il eût pris cette résolution, il appela quelques-uns de ses officiers, et leur ordonna de préparer une litière ; ensuite il fit venir Zeineb, et lui dit : « Vous n’êtes plus à moi, vous êtes au roi de Moussel ; c’est ce prince que vous avez vu hier au soir ; il a pour vous une passion violente ; il est aimable ; vous devez souscrire sans peine au don que je lui fais de votre personne. »

À ce discours l’esclave se prit à pleurer. « Est-il bien possible, dit-elle, qu’Abderrahmane m’abandonne après m’avoir juré tant de fois un amour immortel ? Ah ! volage, vous ne m’aimez plus ; une beauté nouvelle triomphe sans doute du pouvoir de mes yeux, et vous ne m’éloignez de vous que pour éviter les reproches secrets que ma présence vous pourrait faire. — Non, belle Zeineb, répondit le Bagdadin tout attendri, vous n’avez point de rivale, et je ne vous ai jamais plus aimée ; j’en jure par le tombeau de notre grand