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CONTES ORIENTAUX

à Moussel, où ses affaires l’obligèrent d’aller peu de temps après. Il ne manqua pas de se rendre d’abord au palais du roi : il cherchait dans toutes les personnes qui s’offraient à sa vue les traits de l’inconnu qu’il aimait, lorsqu’il l’aperçut au milieu d’une foule de courtisans empressés à lui plaire : il jugea bien que c’était le souverain, comme, en effet, c’était le roi de Moussel, Nasiraddolé lui-même. Ce monarque le démêla bientôt aussi, et s’avança pour le recevoir. Le Bagdadin se prosterna devant lui, et demeura la face contre terre, jusqu’à ce que le roi l’ayant relevé lui-même, l’embrassa, le prit par la main et l’emmena dans son cabinet.

Tous les courtisans furent fort étonnés de la réception que leur maître faisait au jeune marchand : « Qui est donc cet étranger ? se disaient-ils les uns aux autres. Il faut que ce soit un prince, puisque le roi le traite avec tant de distinction. » Les grands seigneurs, qui avaient le plus de part à la confidence du souverain, commencèrent dès ce moment à le craindre et à le haïr ; et les courtisans qui attendaient des bienfaits, prenaient déjà la résolution de lui faire leur cour.

Cependant Nasiraddolé s’enferma seul avec le Bagdadin et lui fit mille caresses : « Oui, mon cher Abderrahmane, lui dit-il, je vous aime plus que tous ces hommes que je viens de quitter pour vous entretenir. Eh ! n’ai-je pas raison de vous chérir plus qu’eux ? Que sais-je si ce n’est pas l’intérêt ou l’ambition qui les attachent à moi ? Il n’y en a peut-être pas un seul qui ait une véritable affection pour ma personne : tel est le malheur des grands qu’ils ne sauraient être sûrs qu’on les aime ; le bien qu’ils sont en état de faire leur ôte le plaisir de n’en pouvoir douter ;