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LES MILLE ET UN JOURS

ce que nous avons de plus précieux ; éloignons-nous de Damas ; fuyons, et nous recommandons au prophète, il ne nous abandonnera point ». Banou goûta cet avis et résolut de le suivre.

Ils n’eurent pas plutôt formé cette résolution qu’ils l’exécutèrent. Ils sortirent de la ville dès le jour même, et marchèrent vers le grand Caire. J’appris tout cela le lendemain, de Dala Moukhtala, qui n’avait pas voulu accompagner sa maîtresse, et qui me fut amenée par un homme de confiance que j’avais envoyé chez Banou, dans l’impatience où j’étais de le revoir. Si j’eusse été moins maître de mes passions, et que j’eusse absolument voulu me satisfaire, j’aurais bientôt eu Arouya malgré elle dans mon sérail ; je n’avais qu’à faire courir sur ses pas, mais c’eût été commettre une action injuste, et je n’ai jamais aimé à contraindre les cœurs.

Je laissai donc à la femme du marchand la liberté de me fuir et de se retirer où il lui plairait, et je m’étudiai à vaincre un amour malheureux, étude qui ne fut pas moins vaine que pénible. Arouya, malgré tous les efforts que je faisais pour l’éloigner de ma pensée, m’était toujours présente. Sa beauté et sa vertu l’établirent dans mon cœur, et depuis plus de vingt années, son souvenir me rend insensible aux charmes de mes esclaves ; les plus belles, les plus piquantes m’amusent sans m’occuper.

— Vous le voyez, seigneur, dit alors le vizir, il n’est point d’homme qui n’ait ses chagrins. Les personnes les plus heureuses sont celles dont les peines sont les plus supportables. Ne nous lamentons donc point. Si, ni Votre majesté, ni le prince Séyf-el-Mulouk, ni moi, ne sommes pas pleinement satisfaits, songeons qu’il y en a de plus malheureux. »