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LES MILLE ET UN JOURS

acheter par la perte de ma femme. Arouya m’est cent fois plus chère que toutes les richesses du monde. Jugez, sire, de mes sentiments par les vôtres, et vous verrez si je puis être ébloui de la fortune brillante que vous m’offrez. Cependant tel est l’amour que j’ai pour mon épouse, que je suis capable de préférer sa propre satisfaction à la mienne. Je vais de ce pas la trouver, lui apprendre l’effet que sa beauté a produit sur vous et les offres que vous me faites pour que je vous cède sa possession ; peut-être que charmée d’une conquête si glorieuse, elle me laissera voir une secrète envie d’être répudiée, et si cela est, je jure que je la répudierai sans balancer, malgré la tendresse que j’ai pour elle. Je m’immolerai à son bonheur, quelque chagrin que me puisse causer sa perte. »

Il ne me disait rien qu’il ne fût effectivement capable de faire. Aussitôt qu’il m’eut quitté, il alla chez lui rendre compte à sa femme de l’entretien qu’il venait d’avoir avec moi : « Arouya, lui dit il, après lui avoir dit tout ce que je lui avais proposé, ma chère Arouya, puisque vous avez charmé le roi, profitez de votre bonne fortune. Allez vivre avec ce jeune monarque. Il est aimable et plus digne que moi de vous posséder. En faisant son bonheur vous jouirez d’un sort plus beau que celui d’être associée à mes malheurs. » Il ne put achever ces paroles sans répandre quelques larmes. Sa femme en fut vivement touchée. « Ô Banou, lui répondit-elle, vous imaginez-vous me causer quelque joie en m’apprenant l’amour du roi ? Pensez-vous que la grandeur me touche ? Ah ! détrompez-vous si vous avez cette pensée, et croyez plutôt, tout malheureux que vous êtes, que j’aime mieux vivre avec vous qu’avec aucun prince du monde. »