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CONTES ORIENTAUX

qu’on me regarde comme le modèle des femmes raisonnables. Je vais perdre en un moment une si belle réputation ! » À ces mots, elle recommença à pleurer et à se lamenter d’un air si naturel, que le juge fut attendri.

« Ô lumière de mes yeux, s’écria-t-il, je suis touché de ton affliction ; mais cesse de t’y abandonner, puisqu’elle t’est inutile. Que sert-il de répandre tant de larmes pour un malheur inévitable ? » Dalla Moukhtala interrompit en cet endroit le juge, et dit : « Grand cadi des fidèles, et vous, belle rose du jardin de la beauté, écoutez-moi l’un et l’autre. J’ai de l’expérience, et ce n’est pas la première fois que j’ai fait plaisir à des amants embarrassés. Pendant que vous ne songez tous deux qu’à vous attendrir, je pense aux moyens de vous tirer d’embarras, et si monseigneur le cadi veut, nous allons tromper le seigneur Banou et les parents de ma maîtresse. — Et comment cela ? dit le juge. — Vous n’avez, reprit la vieille esclave, qu’à vous enfermer dans un certain coffre qui est dans le cabinet d’Arouya ; je suis bien assurée qu’on ne s’avisera pas de nous en demander la clé. — Ah ! très volontiers, répondit le cadi. Je consens pour quelques moments de me mettre dans ce coffre, si vous le jugez à propos. » Alors la jeune dame témoigna que cela lui ferait plaisir, et assura le juge qu’un instant après que son mari et ses parents auraient visité son appartement et se seraient retirés, elle ne manquerait pas de le venir tirer du coffre.

Sur cette assurance, et sur la promesse que la marchande fit au cadi de payer avec usure la complaisance qu’il voulait bien avoir pour elle, il se laissa enfermer comme l’alfakih.