Page:Les Mille et Un Jours, trad. Pétis de la Croix, 1919.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
LES MILLE ET UN JOURS

Déshabillez-vous donc, et vous couchez dans ce lit que vous voyez. Je vais cependant dans l’appartement de mon mari pour savoir si le vieillard repose, et dans un moment je viendrai vous trouver.

Le juge, à ce discours, s’imaginant qu’il tenait déjà dans ses bras l’objet de ses désirs, ôta promptement ses habits, et se mit au lit. À peine fut-il couché qu’il entendit du bruit. Un instant après, Arouya revint fort émue et lui dit : « Ah ! seigneur cadi, vous ne savez pas ce qui vient d’arriver. Nous avons ici un vieil esclave que je n’ai pas voulu mettre dans ma confidence, parce qu’il m’a paru trop attaché à mon mari : il vous a vu entrer dans la maison, il en a averti son maître, qui l’a sur-le-champ envoyé chercher mes parents pour être témoins de mon infidélité. Ils vont tous venir dans mon appartement. Je suis la plus malheureuse personne du monde. » En achevant ces paroles, elle se mit à pleurer : ce qu’elle fit avec tant d’art que le cadi la crut fort affligée.

« Consolez-vous, mon ange, lui dit-il, vous n’avez rien à craindre. Je suis le juge des musulmans, et je saurai bien par mon autorité imposer silence à vos parents et à votre mari. Je les menacerai tous. Je leur défendrai de faire aucun éclat, et vous devez être persuadée qu’ils craindront mes menaces. — Je n’en doute pas, monseigneur, reprit la jeune marchande ; aussi n’est-ce pas le ressentiment de mon époux, ni la colère de mes parents que j’appréhende. Je sais bien qu’appuyée de votre protection je suis à couvert des châtiments ; mais, hélas ! je vais passer pour une infâme, et je deviendrai l’opprobre et le mépris de ma famille. Quel sujet de douleur pour une femme qui jusqu’ici n’a pas donné la moindre occasion de soupçonner sa vertu ! Que dis-je, soupçonner ? j’ose dire