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LES MILLE ET UN JOURS

voir la maîtresse d’un cadi jeune et bien fait ! Ma vertu, je l’avoue, n’est point à l’épreuve d’un sort si agréable. »

Ce début enchanta le cadi. « Oui, ma reine, s’écriat-il, vous serez, si vous le voulez, la première dame de mon sérail et la maîtresse souveraine de mes volontés. Abandonnez le vieux Banou et venez demeurer chez moi. — Non, seigneur, répondit Arouya, je ne puis me résoudre à lui causer un si grand déplaisir. D’ailleurs par cette conduite je me perdrais de réputation. Je veux éviter l’éclat et n’avoir avec vous qu’un commerce secret. — Hé ! dans quel lieu, répliqua le cadi, pourrai-je vous entretenir ? — Dans mon appartement, repartit la marchande ; c’est l’endroit le plus sûr : Banou couche dans le sien. C’est un homme accablé de vieillesse et d’infirmités. Il ne doit point nous causer d’inquiétude. Venez dès cette nuit chez moi, si vous le souhaitez, ajouta-t-elle ; soyez à la porte de notre maison sur les onze heures, mais soyez-y sans suite, car je serais au désespoir que quoiqu’un de vos gens sût la faiblesse que j’ai pour vous. »

Les précautions que prenait la jeune femme, bien loin d’être suspectes au cadi, lui semblaient augmenter le prix de sa bonne fortune. Il ne manqua pas de témoigner à la dame le plaisir qu’il avait de la voir dans des sentiments si favorables pour lui. Il lui fit des caresses dont elle eut soin de modérer la vivacité, et il lui promit de se rendre chez elle à l’heure marquée. Là-dessus ils se séparèrent fort satisfaits, quoiqu’ils eussent tous deux des pensées fort différentes.

Voilà déjà deux amants disposés à donner dans le piège qu’elle leur tendait. Il ne restait plus que le gouverneur à tromper, ce qui ne fut pas fort difficile. La