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CONTES ORIENTAUX

Je vous donnerai volontiers ce que vous me demandez, non comme une chose due à votre mari, mais à vous-même, pour le plaisir que vous me faites de venir chez moi. Je sens que votre vue me met hors de moi-même. Vous pouvez me rendre le plus heureux des alfakihs. Répondez, de grâce, aux sentiments que vous venez de m’inspirer ; aussi bien votre époux est d’un âge trop avancé pour mériter votre affection. Si vous voulez combler mes désirs, au lieu de mille sequins, je vais vous en donner deux mille, et je vous jure sur ma tête et sur mes yeux[1] que je serai toute ma vie votre esclave. »

En parlant de cette manière, le trop passionné docteur, pour prouver par ses actions qu’il n’était pas moins épris qu’il le disait, s’approcha de la jeune femme et voulut la presser entre ses bras ; mais elle le repoussa très rudement, et lui dit, en le regardant d’un air qui ne lui présageait rien de favorable : « Arrêtez, insolent, et cessez de vous flatter que je vous écouté. Quand vous m’offririez toutes les richesses de l’Égypte, s’il dépendait de vous de me les donner, vous ne pourriez corrompre ma fidélité. Remettez seulement entre mes mains les mille sequins que vous devez à mon époux, et ne perdez pas le temps à contraindre un cœur qui se refuse à vos vœux. »

L’alfakih avait trop d’esprit pour ne pas juger par ce discours de ce qu’il devait attendre de la vertueuse Arouya. Il perdit l’espérance de la réduire, et, comme c’était un homme très brutal, il changea bientôt de langage. « Il faut, lui dit-il avec beaucoup d’emportement, que tu sois bien effrontée pour me demander de l’argent ! Je ne dois rien à Banou ton

  1. Serment ordinaire des musulmans.