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CONTES ORIENTAUX

ville pour avoir le plaisir d’entendre ce qu’on y dirait de moi. Je ne fus pas trompé dans mon attente. Le peuple tint mille discours extravagants sur le tour que je lui avais joué : les uns disaient que c’était Mahomet qui, pour témoigner que leur fête lui était agréable, avait fait paraître des feux célestes ; et les autres assuraient avoir vu au milieu de ces nouveaux météores le prophète avec une barbe blanche et un air vénérable, que leur imagination lui prêtait.

Tous ces discours me divertissaient infiniment ; mais, hélas ! tandis que je prenais ce plaisir, mon coffre, mon cher coffre, l’instrument de mes prodiges, brûlait dans le bois ; apparemment une étincelle dont je ne m’étais point aperçu prit à la machine pendant mon absence, et la consuma. Je la trouvai réduite en cendres à mon retour. Un père qui, en entrant dans sa maison, aperçoit son fils unique percé de mille coups mortels et noyé dans son sang, ne saurait être saisi d’une plus vive douleur que celle dont je me sentis agité. Le bois retentit de mes cris et de mes regrets, je m’arrachai les cheveux et déchirai mes habits. Je ne sais pas comment j’épargnai ma vie dans mon désespoir.

Cependant le mal était sans remède ; il fallait que je prisse une résolution ; il ne m’en restait qu’une à prendre, c’était d’aller chercher fortune ailleurs. Ainsi le prophète Mahomet, laissant Bahaman et Schirine fort en peine de lui, s’éloigna de la ville de Gazna. Je rencontrai trois jours après une grosse caravane de marchands du Caire qui s’en retournaient dans leur patrie ; je me mêlai parmi eux, et me rendis au grand Caire, où je me fis tisserand pour subsister. J’y ai demeuré quelques années ; ensuite je suis venu à Damas, où j’exerce le même métier.