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CONTES ORIENTAUX

arriva par hasard que le cheval du courtisan incrédule prit l’épouvante ; il se cabra et jeta par terre son maître, qui se cassa une jambe : cet accident fut regardé comme un effet de la colère céleste. « Ô misérable ! s’écria le roi en voyant tomber le courtisan, voilà le fruit de ton opiniâtreté. Tu n’as pas voulu me croire, et le prophète t’en punit. »

On porta le blessé chez lui, et Bahaman ne fut pas plutôt rendu dans son palais, qu’il fit publier à Gazna qu’il voulait que tous les habitants célébrassent par des festins le mariage de Schirine avec Mahomet. J’allai ce jour-là me promener dans la ville ; j’appris cette nouvelle, aussi bien que l’aventure du courtisan tombé de cheval. Il n’est pas concevable jusqu’à quel point ce peuple était crédule et superstitieux. On fit des réjouissances publiques, et l’on entendait partout crier : Vive Bahaman, le beaupère du prophète !

D’abord que la nuit fut venue, je regagnai le bois, et je fus bientôt chez la princesse. « Belle Schirine, lui dis-je en entrant dans son appartement, vous ne savez pas ce qui s’est passé aujourd’hui dans la plaine. Un courtisan qui doutait que vous eussiez Mahomet pour époux a expié ce doute : j’ai suscité un orage qui a effrayé son cheval ; le courtisan est tombé et s’est cassé une jambe. Je n’ai pas jugé à propos de pousser la vengeance plus loin ; mais je jure, par mon tombeau qui est à Médine, que si quelqu’un s’avise de douter de votre bonheur, il lui en coûtera la vie. » Après avoir passé quelques heures avec la princesse, je me retirai.

Le jour suivant, le roi assembla ses vizirs et ses courtisans : « Allons tous ensemble, leur dit-il, demander pardon à Mahomet pour le malheureux qui