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LES MILLE ET UN JOURS

humaine ne sauraient détourner de dessus nos têtes un malheur tracé dans les étoiles. Puisque la princesse de Gazna doit avoir de la faiblesse pour un homme, c’est en vain qu’on prétend l’en garantir. »

À force de m’occuper de Schirine, que je me peignais plus belle que toutes les dames que j’avais vues, quoique j’en eusse vu à Surat et à Goa un assez grand nombre qui pouvaient passer pour de très belles femmes, et qui n’avaient pas peu contribué à me ruiner, il me prit envie de tenter la fortune. « Il faut, dis-je en moi-même, que je me transporte sur le toit du palais de la princesse, et que je tâche de m’introduire dans son appartement ; j’aurai peut-être le bonheur de lui plaire. Peut-être suis-je le mortel dont les astrologues ont vu l’heureuse audace écrite au ciel. »

J’étais jeune, par conséquent étourdi ; je ne manquais pas de courage. Je formai cette téméraire résolution, et je l’exécutai sur-le-champ. Je m’élevai en l’air et conduisis mon coffre du côté du palais ; l’obscurité de la nuit était telle que je la pouvais désirer. Je passai sans être aperçu par-dessus la tête des soldats, qui, dispersés autour des fossés, faisaient une garde exacte. Je descendis sur le toit auprès d’un endroit où je vis de la lumière : je sortis de mon coffre et me glissai par une fenêtre ouverte pour recevoir la fraîcheur de la nuit, dans un appartement orné de riches meubles, où, sur un sofa de brocart, reposait la princesse Schirine, qui me parut d’une beauté éblouissante ; je la trouvai au-dessus de l’avantageuse idée que je m’en était formée. Je m’approchai d’elle pour la contempler, mais je ne pus sans transport envisager tant de charmes : je me mis à genoux devant elle, et lui baisai une de ses