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CONTES ORIENTAUX

SUITE DE L’HISTOIRE DE BEDREDDIN-LOLO ET DE SON VIZIR

Le prince Séyf-el-Mulouk ayant achevé le récit de ses aventures, dit au roi de Damas : « Voilà, seigneur, que Votre Majesté a souhaité de savoir ; jugez présentement si je jouis d’un parfait bonheur : je suis plus que jamais occupé de Bedy-Aljemal ; j’ai beau me représenter à tous moments que c’est une extravagance à moi d’en être amoureux comme d’une dame qui serait en vie, il m’est impossible de triompher de son image ; elle règne toujours dans mon cœur. »

Bedreddin ne pouvait comprendre un amour si singulier ; il demanda à son favori s’il avait encore le portrait de Bedy-Aljemal : « Oui, seigneur, lui répondit Séyf-el-Mulouk, et je le porte toujours avec moi. » En parlant ainsi, il le tira de sa poche et le montra au roi. Ce monarque en admira les traits. « La fille du roi Schahbal était, dit-il, une charmante princesse ; j’approuve fort l’amour que Salomon avait pris pour elle, mais votre passion me paraît bien extravagante. — Sire, dit alors le vizir triste, Votre Majesté peut juger par l’histoire du prince Séyf-el-Mulouk, que tous les hommes ont leurs chagrins, et qu’ils ne sont point nés pour être parfaitement heureux sur la terre. — Je ne puis croire ce que vous me dites, répondit le roi ; j’ai meilleure opinion de la nature humaine, et je suis persuadé qu’il y a des personnes dont le repos n’est troublé par aucun chagrin. »