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LES MILLE ET UN JOURS

paraissait sensible aux nœuds qui nous liaient l’un à l’autre ; il m’assura qu’il était bien aise de me revoir : il me dit que peu de jours après mon départ, mon père étant dans son trésor, avait ouvert par hasard le petit coffre qui renfermait le cachet de Salomon et le portrait de Bedy-Aljemal ; que ne les y voyant point, il m’avait soupçonné de les avoir pris. J’avouai tout à mon frère et lui remis l’anneau entre les mains.

Il parut touché de mon malheur et admira la bizarrerie de mon sort : il me plaignit, et je sentais que ses plaintes soulageaient mes peines. Toute la sensibilité qu’il me marquait n’était toutefois que perfidie : dès le jour même de mon arrivée, il me fît enfermer dans une tour où il envoya la nuit un officier qui avait ordre de m’ôter la vie ; mais cet officier eut pitié de moi, et me dit : « Prince, le sultan votre frère m’a chargé de vous assassiner ; il craint que l’envie de régner ne vous prenne et ne vous porte à exciter des troubles dans l’État ; sa cruelle prudence croit devoir vous immoler à sa sûreté. Heureusement pour vous, c’est à moi qu’il s’est adressé ; il s’imagine que j’exécuterai son ordre barbare, et il s’attend à me revoir couvert de votre sang. Ah ! que plutôt ma main verse tout le mien ! Sauvez-vous, prince ; la porte de votre prison vous est ouverte ; profitez de l’obscurité de la nuit, sortez du Caire, fuyez, et ne vous arrêtez point que vous ne soyez en sûreté. » Après avoir rendu toutes les grâces que je devais à cet officier généreux, je pris la fuite, et, m’abandonnant à la Providence, je me hâtai de sortir des États de mon frère ; j’eus le bonheur d’arriver dans les vôtres, seigneur, et de trouver dans votre cour un asile assuré. »