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LES MILLE ET UN JOURS

cette île n’est point habitée ? nous ne sommes pas les premiers qui y soient venus ; d’autres avant nous en ont fait sans doute la découverte : pourquoi est-elle abandonnée ? — Mon prince, me répondit mon confident, puisque personne n’y demeure, c’est une marque certaine qu’on n’y saurait demeurer ; elle a quelque désagrément qui la rend inhabitable. » Hélas ! quand le malheureux Saed parlait ainsi, il ne croyait pas si bien dire la vérité.

Nous passâmes la journée à nous réjouir et à nous promener, et, quand la nuit fut venue, nous nous étendîmes sur l’herbe, qui était émaillée de mille fleurs qui se faisaient agréablement sentir. Nous nous endormîmes délicieusement ; mais, à mon réveil, je fus fort étonné de me voir seul. J’appelai Saed à plusieurs reprises ; comme il ne répondait point à ma voix, je me levai pour l’aller chercher, et après avoir parcouru une partie de l’île, je revins au même endroit où j’avais passé la nuit, m’imaginant qu’il y serait peut-être : je l’attendis vainement tout le jour entier et même la nuit suivante : alors, désespérant de le revoir, je fis retentir l’air de plaintes et de gémissements : « Ah ! mon cher Saed, m’écriai-je à tout moment, qu’es-tu devenu ? Pendant que je te possédais, tu m’aidais à porter le fardeau de ma mauvaise fortune ; tu soulageais mes peines en les partageant : par quel malheur, ou par quel enchantement m’as-tu été enlevé ? quel puissance barbare nous a séparés ? il m’aurait été plus doux de mourir avec toi que de vivre tout seul. »

Je ne pouvais me consoler de la perte de mon confident ; et ce qui troublait ma raison, c’est que je ne comprenais pas ce qui pouvait lui être arrivé : j’entrai dans un vif désespoir, et résolus de périr aussi dans